Atmosphère et rotation

Les exoplanètes habitables pourraient bien connaître une alternance jour/nuit comme la Terre.

Une équipe de chercheurs de l’Institut Canadien d’Astrophysique Théorique, en collaboration avec le Laboratoire de Météorologie Dynamique, a simulé l’effet de l’atmosphère sur la rotation des planètes. Leurs résultats, surprenants, montrent que cet effet est bien plus important qu’on ne le pensait. Ainsi, même une atmosphère relativement ténue, telle que celle de la Terre, peut modifier la durée du jour sur une planète au cours des temps géologiques en contrecarrant l’effet des marées gravitationnelles. En effet, en général, ces marées ont tendance à freiner la rotation d’une planète au point qu’il n’y a plus d’alternance jour/nuit. Bien que ce ralentissement ne soit efficace que pour les planètes qui sont significativement plus proches de leur étoile que la Terre ne l’est du Soleil, c’est le cas de la plupart des exoplanètes potentiellement habitables dans la galaxie. Les résultats de cette nouvelle étude ont donc des conséquences importantes sur le climat supposé de ces objets : contrairement à ce qu’on pensait, la majorité des exoplanètes habitables pourrait connaître une alternance jour/nuit comme la Terre.

Si la Lune nous montre toujours la même face, c’est parce qu’elle ressent les marées exercées par la Terre qui jouent le rôle d’une friction qui ralentit sa rotation sur elle-même. Ce phénomène s’arrête quand le temps que met le satellite pour faire un tour sur lui-même est égal au temps mis pour parcourir son orbite autour de la planète. Comme la Lune, la plupart des satellites naturels du système solaire sont dans cet état appelé « rotation synchrone. ». Plus généralement, il en va de même des planètes autour de leur étoile, lorsqu’elles en sont proches. Or, la majorité des étoiles sont beaucoup moins lumineuses que le Soleil et de fait, pour être habitables, les exoplanètes en orbite autour de ces étoiles doivent être plus proches de ces dernières (ce qui n’est pas le cas de la Terre). Elles subissent donc cet important effet de marée devant rendre leur rotation synchrone.

Ainsi pensait-on que la majorité des exoplanètes ne pouvaient pas connaître d’alternance jour/nuit comme la Terre. Le climat d’un grand nombre d’exoplanètes possédant potentiellement des océans devait donc être affecté en conséquence. En effet, il y aurait un coté de nuit permanente où l’eau présente sur la planète pourrait rester piégée sous forme de glace. La présente étude montre que dans le cas des planètes telluriques, il existe un effet très important de l’atmosphère sur la rotation de celles-ci, qui contrecarre l’effet de marée et induit donc la possibilité d’un cycle diurne comme sur Terre.

Un indice de cet effet nous était donné avec l’exemple de Vénus qui, à l’instar de la plupart des exoplanètes habitables se trouve proche de son étoile, et subit donc de vigoureux effets de marée, mais pourtant ne connaît pas de rotation synchrone. Cependant les scientifiques pensaient que cet effet s’expliquait par l’atmosphère particulièrement massive de cette planète. En créant des différences de température (entre le jour et la nuit, entre l’équateur et les pôles), le chauffage solaire crée des vents qui redistribuent la masse de l’atmosphère de manière à ce que l’attraction gravitationnelle du Soleil puisse accélérer la rotation de cette dernière autour du globe. Grâce à cela et dans le cas de Vénus, l’atmosphère a été capable, au cours des temps géologiques, d’accélérer la rotation de la planète entière !

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Représentation donnant un exemple des écarts de température à la surface d’une planète dans les cas synchrone1 et asynchrone2. Les méridiens en grisés donnent la rotation de la planète. En superposition de ceux-ci, on voit dans le cas des planètes asynchrones les flux de températures se déplacer à la surface du globe. © Jérémy Leconte

On pensait donc que de tels effets étaient réservés à des planètes dont l’atmosphère est particulièrement massive, or l’étude de l’équipe franco-canadienne montre en fait l’inverse : contrairement à l’idée reçue, une atmosphère plus ténue agit plus fortement sur la rotation d’une planète. La raison de cette différence est que l’atmosphère de Venus est très opaque et qu’une grande partie de l’insolation est stoppée par un épais plafond nuageux, qui nous empêche d’ailleurs de voir sa surface. Au contraire, sur Terre, la majorité des rayons solaires atteignent la surface où leur effet sur la redistribution atmosphérique est maximale. La grande surprise est que ces résultats montrent que si la Terre était à la position actuelle de Venus, l’effet de son atmosphère, bien que cent fois moins massive, serait quasiment dix fois plus important. Pour y parvenir les chercheurs ont imaginé un modèle climatique tridimensionnel capable de prédire l’effet de l’atmosphère sur la rotation d’une planète et ce pour des atmosphères très diverses.

Ainsi, un grand nombre d’exoplanètes habitables pourraient bien suivre un cycle d’alternance jour/nuit comme la Terre, bien que subissant des effets de marée importants dus à leur proximité à leur étoile. Ces « exo-journées » auraient cependant une durée plus proche du mois terrestre que de nos 24h. Mais cela serait suffisant pour imposer un climat plus proche de celui que connaît la Terre. Voilà qui donne un nouvel éclairage sur la question du potentiel de ces planètes à accueillir le vivant tel qu’on le connaît.

Note(s) :
1 Évolution de la température à la surface d’une planète synchrone. Comme la planète tourne sur elle-même aussi vite qu’elle tourne sur son orbite, la région illuminée et chaude reste immobile par rapport à la surface (qui est matérialisée par les méridiens en gris) : il n’y a pas d’alternance jour/nuit. En conséquence, le côté jour reste chaud en permanence. Au contraire, le côté nuit, qui est chauffé uniquement par les vents venant de l’hémisphère chaud, peut atteindre des températures arctiques. Cette animation est issue d’une simulation pour une planète possédant une atmosphère similaire à la Terre, et recevant une insolation identique. © Jérémy Leconte

2 Évolution de la température à la surface d’une planète asynchrone. Comme la planète tourne sur elle-même plus vite qu’elle tourne sur son orbite, la région illuminée et chaude, qui reste sous l’étoile, se déplace d’est en ouest par rapport à la surface (qui est matérialisée par les méridiens en gris), comme sur Terre. Grâce à l’inertie thermique du sol, le sol reste chaud un certain temps après le passage du point chaud, ce qui permet au côté nuit de ne pas atteindre des températures trop basses. Cette animation est issue d’une simulation pour une planète possédant une atmosphère similaire à la Terre, et recevant une insolation identique. © Jérémy Leconte

Mots-clés

Post-scriptum

Asynchronous rotation of Earth-mass planets in the habitable zone of lower-mass stars, Jérémy Leconte, Hanbo Wu, Kristen Menou, Norman Murray, Science, 15 Janv 2015.
Contact chercheur :
Jérémy Leconte (CITA (Canada) et LMD-IPSL) I T +33 (0) 6 63 34 75 86 jleconte@cita.utoronto.ca