Lumière polarisée circulairement et glaces circumstellaires : une possible origine de l’asymétrie des molécules du vivant sur Terre

Les organismes vivants utilisent des acides aminés chiraux présentant uniquement la forme énantiomérique L (ou gauche) pour la fabrication des protéines, une propriété connue sous le nom d’homochiralité. L’origine de cette asymétrie est à ce jour encore mal connue mais il est généralement admis un processus en deux étapes : tout d’abord l’apparition de faibles excès énantiomériques dans un matériau organique chiral, suivie par un mécanisme d’amplification menant à la sélection complète d’un seul des deux énantiomères. L’une des hypothèses privilégiées pour expliquer l’apparition des excès énantiomériques initiaux repose sur l’interaction de lumière circulairement polarisée avec la matière, ce qui introduit l’asymétrie initiale.

Depuis 2003, l’équipe « Astrochimie et Origines » de l’IAS, sur le campus d’Orsay, a mis en œuvre une expérience de simulation de photochimie sur des analogues de glaces inter/circumstellaires en utilisant un faisceau de lumière « asymétrique » car polarisée circulairement. En 2011, un premier résultat avait permis d’obtenir une sélectivité énantiomérique sur un acide aminé protéique, l’alanine. Grâce aux performances de la ligne DESIRS du synchrotron SOLEIL, ainsi qu’aux méthodes analytiques de chromatographie couplées à la spectrométrie de masse employées à l’Institut de Chimie de Nice, de nouveaux résultats marquants ont été obtenus sur les résidus organiques issus de l’irradiation de glaces en lumière ultraviolette polarisée circulairement (voir la figure).

Les chercheurs ont étendu l’expérience de 2011 à cinq acides aminés : α-alanine, valine (protéiques) ; acide 2,3-diaminopropionic, acide 2-aminobutyric et norvaline (non-protéiques) parfaitement séparés dans les deux formes énantiomériques L et D. À chaque fois, ils ont obtenu des excès de la même forme (gauche ou droit selon la polarisation). Bien que toujours faibles (inférieurs à 2%), ces excès sont comparables à ceux observés dans certaines météorites primitives et renforcent par leur caractère systématique le scénario astrophysique pouvant mener à l’apparition de l’homochiralité propre au vivant.

La transposition à l’astrophysique est plausible car les analogues de glaces utilisés en laboratoire sont de composition chimique proches de celle des glaces inter/circumstellaires. De plus, dans la nébuleuse d’Orion et NGC 6334, des sources intenses de rayonnements polarisés circulairement à gauche et donnant jusqu’à 22% de taux de polarisation ont été mises en évidence dans des régions de formation d’étoiles massives bien plus vastes qu’un système planétaire en formation. Notre Système Solaire aurait donc pu bénéficier de telles conditions lors de sa formation. Cette expérience se poursuit en prenant maintenant pour cible d’autres molécules prébiotiques importantes dont l’homochiralité biologique (droite) est à l’opposé de celle des acides aminés (gauche) : les sucres.

Enantiomeric excesses induced in amino acids by ultraviolet circularly polarized light irradiation of extraterrestrial ice analogs : a possible source of asymmetry for prebiotic chemistry, Paola Modica, Cornelia Meinert, Pierre de Marcellus, Laurent Nahon, Uwe J. Meierhenrich, and Louis Le Sergeant d’Hendecourt - The Astrophysical Journal, 788, 79 (2014)

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Post-scriptum

Figure 1 : Image, obtenue au microscope (x 60) d’un échantillon de résidu organique à température ambiante issu de l’irradiation de glaces en laboratoire. La taille de la cible est d’environ 1 cm2. © P. Modica